Tiré du site laterna-magica.fr

 

En 1950, Stanley Kubrick réalise son premier court-métrage, assisté de son compagnon de route de l’époque Alexandre Singer. Depuis quelques temps déjà, les deux amis cherchaient à réaliser un film. Alexandre Singer travaillait comme commis pour March of time, célèbre série d’actualité cinématographique, qui mélangeait reconstitution et images d’actualités.

Chacun ambitionnait dans son coin la réalisation d’un film et les vues des deux ne s’accordaient pas nécessairement. Ils se mirent néanmoins d’accord pour un court-métrage documentaire d’une vingtaine de minutes qui servirait à lancer leurs carrières.

 

Stanley Kubrick, jeune homme  du Bronx, n’avait pour l’instant fait ses armes que dans la photographie. A la fin de l’année 1948, le magazine Look pour lequel il collaborait régulièrement lui commande un reportage sur le boxeur Walter Cartier, modeste athlète new-yorkais de 24 ans, alors au sommet de sa forme ou presque. Pour son photo-reportage, Kubrick suit Cartier le jour du combat, du réveil à l’affrontement sur le ring. Cette immersion dans le monde de la boxe et dans les pas de Cartier marque tout de suite le jeune Stanley Kubrick.

Kubrick revient vers Cartier deux ans plus tard et transforme l’idée de son reportage en un court-métrage documentaire fondé sur le même principe et sobrement intitulé Day of the fight. Le film dure quinze minutes et se divise en deux parties.

 

Kubrick, par le commentaire en off lu par le narrateur Douglas Edwards, prend d’abord ses distances avec le sujet et ironise à propos de la boxe, des combatants et des spectateurs.

Dans un deuxième temps, il s’intéresse au cas particulier de Walter Cartier, boxeur professionnel qui vit dans un petit appartement à New York avec son frère et gagne modestement sa vie grâce aux primes des combats.  Kubrick conserve un regard ironique mais quand même atténué, sans doute par respect pour l’homme dont il réalise le portrait.

La mise en scène suggère une part de reconstitution. Kubrick filme le combat de façon originale. Il réussit notamment à placer sa caméra à l’intérieur même du ring. On sent déjà une recherche visuelle pointue et certaines images marquent : quand la caméra filme entre les jambes d’un des deux boxeurs sur sa chaise entre deux rounds ; quand la caméra enregistre les coups de poing échangés en se plaçant entre les boxeurs et sous leurs poings. Cette image là ne peut qu’être le résultat d’un travail de reconstitution car il est évident que pendant le réel affrontement entre les boxeurs, aucune caméra ne venait s’intercaler entre eux.

Ce mélange entre images d’actualités prises sur le vif et reconstitution n’est pas seulement caractéristique de la série March of Time. Le film de Kubrick ne rentre d’ailleurs pas dans le cadre de cette série même si on comprend qu’il s’en est inspiré. Cependant, le jeune photographe qu’il était opérait déjà de cette manière là pour ses photos-reportage. Il y a notamment ce cliché célèbre pris par Kubrick, un kiosquier l’air triste le jour de la mort de Franklin Roosevelt. L’image aurait très bien pu être capturée en direct, sauf qu’elle est le fruit d’une mise en place préalable par Kubrick. Ce qui compte, c’est la force évocatrice de la photo, le fait que l’on y croit, ce qui est le cas. Avec Day of the fight, le sentiment est le même. Sauf à y faire attention, on ne ne préoccupe pas de la part du documentaire qui est truquée par le metteur en scène. Cela fait aussi partie du travail du documentariste et c’est aussi le talent du cinéaste de faire en sorte que l’on croit à ce que l’on voit. En l’occurrence, Kubrick réussit un beau portrait de Walter Cartier, boxeur dont on se souviendra sans doute toujours grâce à Stanley Kubrick et qui sans lui, aurait disparu dans les limbes de l’Histoire du noble art.

 

Day of the fight offre aussi à Kubrick la possibilité de filmer son premier combat. Tout son cinéma sera ensuite balisé notamment par des scènes de lutte. Il réutilisera l’image du boxeur dans son premier long-métrage officiel, Le Baiser du tueur et l’on note des bagarres au corps à corps au moins dans L’Ultime Razzia, Les Sentiers de la gloire, Spartacus, Lolita, Orange Mécanique, Barry Lyndon et Full Metal Jacket.

 

Benoît Thevenin

Synopsis

C'est la rencontre d'un ancien camarade d'école, Alexander Singer (lui aussi futur réalisateur) qui  offre à Stanley Kubrick sa première occasion de diriger un film. Singer travaillait comme garçon de bureau à March Of Time (célèbre série d'actualités cinématographiques) et avait appris que ses patrons dépensaient quarante mille dollars pour des films de huit ou neuf minutes. Ils décidèrent de faire le même genre de film pour dix fois moins cher. Ce documentaire est consacré au boxeur poids moyen Walter Cartier sur lequel Kubrick avait déjà fait un reportage photographique pour Look, intitulé Prizefighter. Kubrick essaya de vendre le film, mais on lui en  offrit moins que le prix de revient de 3900 dollars. March Of Time fit faillite ; la RKO racheta le documentaire pour une somme dérisoire (cent dollars de plus que son coût de fabrication !) mais avança 1500 dollars pour un deuxième documentaire, Flying Padre.

Générique du film

- Réalisateur : Stanley Kubrick

- Réalisateur seconde équipe : Alexander Singer

- Assistant réalisateur : Alexander Singer

- Scénariste : Stanley Kubrick

- Auteur de l'oeuvre originale : Stanley Kubrick d'après une histoire en images "Prizefighter"

- Auteur du commentaire : Robert Rein

- Société de production : RKO Radio Pictures - Radio-Keith-Orpheum

- Producteur : Stanley Kubrick

- Directeur de la photographie : Stanley Kubrick

- Ingénieur du son : Stanley Kubrick

- Compositeur de la musique originale : Gerald Fried

- Monteur : Julian Bergman

- Interprètes : Douglas Edwards (la voix du narrateur), Walter Cartier (dans son propre rôle), Vincent Cartier (dans son propre rôle), Nate Fleischer (dans son propre rôle), Bobby James (l'adversaire de Walter Cartier, dans son propre rôle), Judy Singer (l'amatrice de boxe, dans son propre rôle)